Longtemps allié indéfectible du nouveau Rwanda de Paul Kagamé, l'association Survie semble changer son fusil d'épaule. Dans un communiqué rendu public aujourd'hui, l'ONG, dont l'objet reste la lutte contre les relations mafieuses entre l'Afrique et la France, dénonce la visite de Kagamé en France, en termes peu sybillins:
"La visite de Paul Kagame pose problème, à cause du risque que ce rapprochement diplomatique ne s’opère au détriment de la justice sur le rôle de la France dans le génocide des Tutsi, mais aussi du fait de la nature même du régime rwandais et des crimes qui lui sont reprochés."
Paul Kagamé sonné et dépassé par le tollé de sa visite officielle à Paris
Et l'ONG de rappeler les graves manquements aux droits de l'homme dont s'est rendu coupable le Rwanda, que ce soit en son sein, ou en RDC : "Le Rwanda, malgré un essor économique important, est en effet loin d’être un exemple démocratique et d’exercice des droits civiques, comme l’indique la victoire à 93% de Paul Kagame lors de la dernière élection présidentielle. L’Armée Patriotique Rwandaise (APR) qu’il a dirigée est par ailleurs accusée de crimes qualifiables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité au Zaïre en 1996-97, comme Survie l’a souligné à plusieurs reprises. Un rapport d’août 2010 du Haut-commissariat aux droits de l’Homme de l’ONU (Mapping Report) mentionne ainsi des dizaines de milliers de Hutu massacrés dans les forêts congolaises et les responsabilités rwandaises dans ce massacre." Quant à la France, elle reste coupable, selon Survie, de complicité de génocide : "Alliée du régime Habyarimana malgré les signaux précurseurs du génocide, la France a soutenu en 1994 le Gouvernement Intérimaire Rwandais (GIR), Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères, allant alors jusqu’à recevoir en plein génocide, son homologue du GIR. La France a continué des livraisons d’armes jusqu’en juin 1994 alors que l’ONU a voté l’embargo le 17 mai." Survie craint fort que le rapprochement entre Kagamé et Sarkozy ne serve à enterrer les crimes passés, aussi bien rwandais que français, au détriment de la justice. Survie demande aux autorités françaises : Concernant le génocide des Tutsi du Rwanda :
- De donner à la justice française les moyens pour juger les présumés génocidaires en créant le pôle d’instruction spécialisé dans les crimes contre l’humanité.
- De mettre en place une commission d’enquête parlementaire qui fasse totalement la lumière sur l’implication de la France au Rwanda.
- De lever le Secret Défense sur les archives concernant l’ensemble de l’action française Concernant la paix, la justice, et la démocratie en République Démocratique du Congo :
- De participer à la mise en place d’enquêtes sur les responsabilités des sociétés minières étrangères dans les crimes commis en RD Congo pendant les guerres de 1996 à 2003, notamment sur SDV la filiale de l’entreprise française Bolloré dont les activités ont été dénoncées par l’ONU.
- De s’en tenir à des relations minimales avec le régime rwandais du fait de ses manquements démocratiques et de ne rien entreprendre sur le plan diplomatique ou judiciaire qui puisse contribuer à dédouaner les dirigeants rwandais de leurs responsabilités dans des crimes commis en RD Congo.
L'ex-ministre de la Défense Hervé Morin a regretté lundi que Paul Kagamé n'ait pas fait sa
"part du chemin" vers la réconciliation.
"Recevoir M. Kagame n'était pas nécessaire",a-t-il dit.
Les familles des trois Français membres de l'équipage de l'avion de l'ex-président rwandais hutu Juvénal Habyarimana, tués avec lui dans un attentat en avril 1994, ressentent de leur côté "un certain sentiment de malaise au regard de cette visite officielle", selon l'Association française des victimes du terrorisme (AFVT). "Nous travaillons ensemble pour voir comment échapper à l'Histoire, pour avancer", avait expliqué dimanche Paul Kagamé, lors d'une rencontre avec la diaspora rwandaise. En reconnaissant que "cette visite ne fait pas plaisir à un certain nombre de personnes", la présidence française avait souligné elle aussi que Nicolas Sarkozy voulait "tourner la page des relations douloureuses de la France avec le Rwanda".
Paul Kagame devait achever son séjour mardi par une rencontre avec le patronat français.