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26 février 2015 4 26 /02 /février /2015 09:33

Ces tueurs tutsi comb-copie-2LA GUERRE DE L’INFORMATION DANS LA CONQUÊTE DU POUVOIR AU CONGO-KINSHASA.


1. CONTEXTE ACTUEL DES ÉVÉNEMENTS.

Depuis le soulèvement populaire qui a duré trois bonnes journées à Kinshasa et dans le reste des villes de la RDC, nous avons eu à observer, au-delà des affrontements de la police avec les manifestants, un autre affrontement plutôt culturel, une espèce de guerre dans la guerre ou pour être plus précis, le nerf même de la guerre qui s’est révélé dans la maitrise des moyens de communications.

Au plus fort de la crise qui a secoué le pays de Lumumba suite à la tentative du régime Kabila de modifier la constitution avec l’intention claire de rempiler pour un troisième mandat, l’observateur attentif a pu relever que l’arme lourde utilisée par le pouvoir de Kinshasa ne fut point le déploiement des policiers et de la soldatesque de la garde républicaine habillée en tenues policières. Le peuple a réussi à braver mains nues toute cette puissance de feu. Non, l’arme lourde utilisée par le régime de Kinshasa, ce fut bien la coupure de l’internet et des réseaux sociaux qui a été l’estocade décisive qui a pu stopper la marche du peuple vers la prise de la Bastille congolais qu’est le palais du peuple où sont votées des lois scélérates.

De fait le mardi 20 janvier 2015 matin, les opérateurs Internet de la République démocratique du Congo ont reçu l’ordre de couper l’accès à internet et aux communications SMS en 3G.

Ces mesures prises par les autorités du pays allaient bien évidemment à l’encontre du respect des règles élémentaires de la démocratie dans la mesure où l’ordre de coupure était verbal et sans motivation dans un pays qui n’était pas dans un état de siège et qu’il une violation massive contre les droits de communication des citoyens. Cette situation de blackout va perdurer pendant deux bonnes semaines jusqu’à ce que le gouvernement lève progressivement les unes après les autres ces mesures de suspension inique.

Depuis la semaine dernière, les autorités du pays sont allées déterrer la loi Kin-Kiey Mulumba promulguée le 3 novembre 2012 et qui sommait tous les utilisateurs des téléphones cellulaires sur toute l’étendue du territoire de la République démocratique du Congo de se faire identifier auprès de leurs réseaux respectifs, faute de quoi leurs lignes se trouveront bouchées dans les trois mois suivants avec la claire intention d’avoir un contrôle plus strict sur l’identité des usagers et sur le contenu de l’information véhiculée.

Cette loi aussitôt publiée fut bien évidemment jetée aux oubliettes jusqu’à l’éclatement de la crise de janvier 2015 dernier où les dirigeants congolais se sont souvenu qu’elle pouvait bien servir non point la sécurité territoriale mais plutôt la survie de leur régime.

2. QU’EST-CE QUI SE CACHE DERRIÈRE CE TRAIN DE MESURES COERCITIVES ?

Le gouvernement de Kinshasa via ses services de sécurité aura compris que les manifestations du 19 au 21 janvier ne relevaient point d’une génération spontanée. Elles étaient plutôt la résultante de longues préparations idéologiques des discours de sensibilisation émanant de la fronde des résistants de la diaspora relayée par des opposants de la place. Les nombreux écrits réfractaires au régime de Kabila sur facebook et sur twitter, la diffusion via ces réseaux sociaux des images des actions spectaculaires des combattants démystifiant le pouvoir de Kinshasa ont fini par créer une opinion publique auprès des internautes, opinion selon laquelle Joseph Kabila n’est pas invincible et que ses thuriféraires au Parlement ou au Sénat, à défaut de servir leur peuple, ne sont que de simples laquais du dictateur qui ont tourné leur dos au peuple souverain qui leur a donné mandat.

Cette opinion a pris corps et a rendu les congolaises et les congolais intrépides et capables de marcher trois jours durant contre ce qu’ils considèrent désormais comme un système dictatorial qui met à genoux tout l’avenir de leur peuple. La coupure de communication a été vécue par ces frondeurs comme une autre méthode militaire de couper les manifestants de leur base-arrière qui, elle, donnait des ordres et dirigeait à distance les opérations de subversion.

Nous étions là devant une véritable guerre des images et des informations.. Pendant que Mende Omalanga, le ministre de l’information et porte-parole du gouvernement, écumait les télévisions et radios de l’État pour signifier que rien de grave ne se passait dans les rues kinoises, au même moment Joseph Kabila choisissait sciemment d’aller accueillir à l’aéroport international de Ndjili son homologue angolais, Dos Santos, pour dire que la vie continuait normalement sur l’étendue du territoire congolais et que cette manifestation organisée par l’opposition était en fait un non-événement. Du coté de l’opposition et des manifestants, s’organisait une autre forme de communication. Une coordination s’était établie entre la diaspora congolaise établies dans différents pays en Europe avec des sous-groupes téléguidés sur le terrain. Les personnes présentes sur le théâtre des opérations transmettaient des informations et les images via les téléphones portables rendant compte sur les avancées de la manifestation à leurs collaborateurs installés en Occident et chargés de relayer les informations et les images sur la scène mondiale. Cette stratégie de communication poussera le régime de Kinshasa à prendre peur et contraindra de nombreux caciques du pouvoir à faire marche-arrière. Les messages, les signaux, les tracts etc. étaient aussi adressés à ces derniers pour les démoraliser, les diviser ou les égarer.

De l’acquisition des informations jusqu’à leur communication à des millions d’internautes, la circularité des nouvelles a eu à investir les champs psychologiques et les champs physiques qu’il était devenu possible de tirer des décisions qui permettaient aux manifestants de transformer la situation de la dictature en place en situation de libération et de souveraineté. C’est là la mise en acte de la théorie même du général Loup Francart (La maitrise de l’information), théorie selon laquelle l’information est action et donne sens. Vue sous cet angle, une information précise détient le pouvoir de transformer le contexte, de le façonner en influençant les décisions et les opinions des différents acteurs sur le théâtre des opérations et sur la scène nationale et internationale.

Mais la guerre de l’information comme action, c’est aussi et d’abord une guerre de l’information comme savoir. Posséder la dominance informationnelle, c’est avoir une représentation exacte et globale de la situation permettant une décision stratégique appropriée et instantanée, tandis que l’adversaire est plongé dans le brouillard de l’ignorance. Un moment donné, le pouvoir de Kinshasa était pris de court, mais ce qui a manqué aux organisateurs de marche, ce fut la ruse et la capacité d’anticiper pour surprendre l’adversaire. Si c’est vrai que le palais du peuple était le symbole à faire tomber pour renverser la dictature, il ne fallait pas l’annoncer d’avance. Il fallait annoncer un autre objectif tel que le palais de la nation autour duquel le pouvoir allait concentrer ses forces policières et de là le surprendre en détournant le cortège vers le palais de la honte et lui réserver le traitement comme celui qui a été infligé sur l’hémicycle de Burkina Faso.

A travers ce train de mesures, le gouvernement a identifié la source du pouvoir qui entrainait cette marrée humaine sur des rues de Kinshasa et, en coupant l’information et ses canaux de communication, il a réussi à éteindre la flamme de la révolution qui commençait à s’étendre un tantinet partout. L’information et sa circulation rapide se sont révélées comme l’enjeu principal des événements du 19 au 21 janvier dernier et de ce qui pourra advenir demain dans le combat de libération du Congo-Kinshasa. S’il y a un avenir à envisager dans le combat de la résistance, c’est de là que doit partir toute réflexion pour faire l’autocritique de ce qui s’est passé et de la manière où les opérations pourront être gérées dans l’avenir.

3. DES LEÇONS A TIRER POUR L’AVENIR…

Leçon n° 1 : Comme je l’affirmais dans une récente publication (Stratégies de domestication d’un peuple, pp. 624-629), le pouvoir politique actuel réside dans le savoir. Des savoirs plus que du savoir. Et actuellement, ces savoirs proviennent de la maitrise de nouvelles technologies de l’information et de communication (NTIC). Il importe de retenir que l’autorité de la loi, de la tradition ou de l’élection populaire ne sont plus les seules sources du pouvoir. Les masses populaires sont dirigées par le pouvoir des images, par leur influence et leur relais indirect.

Le but final, c’est de réduire la liberté d’action de l’adversaire en le déconsidérant, en lui faisant perdre des partisans ou des alliés, bref en altérant son image plutôt que sa volonté. Il s’agit ici de l’information « efficiente » comme le souligne François-Bernard Hughes (Qu’est-ce que la guerre de l’information ?), celle dont la valeur stratégique ne réside pas dans sa véracité mais dans sa diffusion. Elle est efficace dans la mesure où elle trouvera des repreneurs, des « croyants » qui adopteront le point de vue du communicateur et ses jugements de valeurs qui rallieront l’opinion nationale et internationale à la cause de la liberté défendue. Son but devrait être de mobiliser les affects, de diriger les passions et de fabriquer du consensus en vue de gagner une hégémonie sur l’adversaire et de parvenir à un objectif politique qu’on s’est fixé.

Leçon n°2 : La guerre de l’information, c’est aussi la guerre des symboles. L’info-guerre viserait dans le cas de la RDC, les symboles du système prédateur actuel notamment : les grands palaces et buildings construits avec l’argent volé au peuple, les fosses communes des cadavres dont ce régime s’est rendu coupable, les limousines qui roulent à coté des masses populaires qui marchent à pied sur des kilomètres, des monuments de la honte qui enseignent la fausseté sur l’histoire du pays etc.): La communication consistera à mettre sur la place publique les imputations des crimes et des mensonges de ce système, les manifestations de sa perversion foncière avec des terres balkanisées ou la dangerosité des principes qu’il incarne tels que la chosification des citoyens congolais ou la prédation et la corruption sous forme sustémique, la servitude comme idéologie, les assassinats et les génocides des populations paisibles etc. Tous ces faits criminels sont là pour être grossis par les communicateurs pour démontrer la volonté perverse d’une entité mauvaise bien identifiée et pour motiver la volonté populaire à en découdre avec cet pouvoir inique.

Leçon n°3 : Ce que nous pouvons retenir du mode opératoire des événements du 19 au 21 janvier dernier, c’est l’enseignement d’après lequel ce n’est plus l’épée ni le kalachnikov qui ont le pouvoir de dénouer le « nœud gordien » d’un soulèvement populaire mais les savoirs et leur maitrise. Joseph Kabila qui a tourné le dos à la constitution pour s’appuyer sur les forces armées en vue de son coup de force en 2016 est en train de se faire de très mauvais calculs politiques dans la seule mesure où il pourra se trouver en face d’un peuple qui se sera décidé de s’organiser dans la maitrise des savoirs d’information et de communication pour le clouer au pilori. C’est dans ce domaine des savoirs appliqués sur le théâtre de combat de libération que ce peuple pourra se donner des moyens intellectuels d’anticiper la manière par laquelle il pourra contourner la coupure des voies de communications en utilisant un plan B, à savoir d’autres moyens humains pour aboutir en fin de compte au même résultat qu’est la libération du peuple congolais du poids de la servitude.

Leçon n°4 : Je termine cette réflexion par l’enseignement que j’ai tiré de la lecture de Carl Sofsky qui écrivait à peu près ce qui suit : « la stratégie prépare le combat. Elle détermine où et quand et avec quoi il faudra combattre. Elle procure des ressources et équipes les combattants. La tactique, pour sa part, fixe la manière dont les moyens seront employés et la bataille menée. Ces deux opérations dans la conduite rationnelle du combat ont une fonction commune : la réduction de l’incertitude et l’exclusion du hasard. » Mais, pour revenir à notre sujet, comment mettre en application cette sagesse si ce n’est dans la maitrise de l’information, de la connaissance exacte et précise de ce que pense faire l’adversaire. Plus on est préparé, plus il est facile de parer le coup de l’adversaire. La stratégie du savoir ou des savoirs, dans la coordination des forces engagées et le renforcement de l’esprit combatif, voilà qui vous préserve du hasard et vous ouvre les portes de la victoire finale.

Chers internautes, retenons cette vérité : il n’y a pas de guerre sans info-guerre ! Il s’agit en d’autres mots de jouir d’un meilleur éclairage que celui de l’adversaire sur la réalité de terrain, les forces et l’environnement, deviner ses intentions, dissimuler ses propres positions et intentions, décoder les intentions de l’adversaire pour améliorer ses moyens de perception, commandement et coordination, dégrader ceux de l’autre, exalter ses partisans, démoraliser ceux de l’adversaire, diviser ses alliés et son commandement.

Qu’on se le dise : le pouvoir réside au bout de la camera, dans l’image et dans l’angle avec lequel l’image est prise et diffusée pour faire passer un message qui vous permet de tirer les avantages de votre coté et l’opinion à votre faveur… Vaincre, c’est convaincre. Vaincre, c’est persuader. Il faut dès lors faire des moyens de communication des instruments de la victoire. Et de cette manière, quiconque s’y préparera en avance et appliquera avec rigueur la discipline de ses règles de communication gagnera la prochaine bataille de 2016 !

GERMAIN NZINGA MAKITU

 

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